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ÉLOGE DE M. EULER.


cet homme illustre se retira dans son pays ; et la même année il épousa mademoiselle Gsell, sa compatriote, fille d’un peintre que Pierre Ier avait ramené en Russie, au retour de son premier voyage. Dès lors, pour nous servir de l’expression de Bacon, M. Euler sentit qu’il avait donné des otages à la fortune, et que le pays où il pouvait espérer de former un établissement pour sa famille était devenu pour lui une patrie nécessaire. Né chez une nation où tous les gouvernements conservent au moins l’apparence et le langage des constitutions républicaines, où, malgré des distinctions plus réelles que celles qui séparent les premiers esclaves d’un despote du dernier de ses sujets, on a soigneusement gardé toutes les formes de l’égalité ; où le respect qu’on doit aux lois s’étend jusqu’aux usages les plus indifférents, pourvu que l’antiquité ou l’opinion vulgaire les ait consacrés ; M. Euler se trouvait transporté dans un pays où le prince exerce une autorité sans bornes, où la loi la plus sacrée des gouvernements absolus, celle qui règle la succession à l’empire, était alors incertaine et méprisée ; où des chefs, esclaves du souverain, régnaient despotiquement sur un peuple esclave ; et c’était dans le moment où cet empire, gouverné par un étranger ambitieux, défiant et cruel, gémissait sous la tyrannie de Biren, et offrait un spectacle aussi effrayant d’instructif aux savants qui étaient venus chercher dans son sein la gloire, la fortune, et la liberté de goûter en paix les douceurs de l’étude.

On sent tout ce que dut éprouver l’âme de M. Eu-