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ÉLOGE DE CHARAS.


cali volatil et n’a que les vertus générales de cet alcali.

L’erreur, funeste au peuple, qui, toujours avide d’opinions absurdes, se conduit d’après ces opinions, sans jamais songer à les examiner, peut quelquefois être une occasion de découvertes utiles, en tournant la vue des savants vers des objets sur lesquels on serait peut-être resté dans une ignorance absolue.

Une autre fable s’était répandue aux environs de Tolède : on y croyait qu’un archevêque de cette ville avait obtenu du ciel que les vipères n’auraient point de venin à douze lieues autour de Tolède. Ce préjugé pouvait être funeste. Charas prouva, par des expériences sur les animaux, que la morsure des vipères était aussi mortelle dans la Castille que dans tout autre pays. Il désabusa même quelques grands seigneurs : mais les médecins, jaloux de sa faveur à la cour, déférèrent ses expériences au saint-office, et Charas fut traîné, à soixante-douze ans, dans les cachots de l’inquisition, pour avoir mal parlé des vipères. Il en sortit au bout de quatre mois, en abjurant la religion protestante. Dès lors, les obstacles qui l’avaient éloigné de sa patrie ne subsistèrent plus : il y revint, et y retrouva son fils, devenu catholique comme lui, mais sans avoir eu besoin d’une épreuve aussi cruelle. Ce fut alors que le roi le nomma de l’Académie des sciences. Il était encore robuste et capable du travail : il fit pour l’Académie de nouvelles expériences sur les vipères, dont heureusement il était permis à Paris de dire tout ce qu’on voulait, et donna sur la chaleur et le froid des eaux