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ÉLOGE DE M. DE VAUCANSON.


par une statue semblable, qui imiterait toutes les opérations d’un joueur de flûte.

Dominé par cette idée, il s’aperçut de tout ce qui lui manquait de connaissances en physique, en anatomie, en musique, en mécanique, et il employa plusieurs années à étudier ces sciences : malheureusement, quoiqu’il eût formé la résolution de garder le secret, il était trop plein de son objet pour ne pas laisser échapper quelque indiscrétion ; un de ses oncles fut instruit de ce projet, et le prit si sérieusement pour une extravagance, qu’après avoir fait à son neveu les reproches les plus vifs, mais les plus inutiles, sur sa folie, il le menaça d’une lettre de cachet qu’il voulait absolument solliciter pour écarter de Paris un jeune homme qui allait se perdre par un délire si singulier : en effet, tout ce qui s’écarte des idées communes doit paraître folie à un esprit vulgaire, et quand l’opinion ne dirige pas ses jugements, il lui est impossible de distinguer un fou d’un homme de génie, puisqu’il est également dans l’impuissance de saisir la chaîne qui lie leurs idées. M. de Vaucanson eut la prudence d’épargner cette démarche ridicule à son oncle, et peut-être une injustice au gouvernement, qu’on accusait alors de ne pas connaître assez les bornes de l’autorité des familles et les droits de la liberté : le jeune mécanicien se résolut par complaisance à voyager ; il parcourut la Normandie et la Bretagne, toujours occupé de mécanique, trouvant souvent l’occasion de faire quelques petites découvertes, et se confirmant dans l’opinion qu’il pouvait espérer de plus grands succès.