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ÉLOGE DE PERRAULT.


vers, Port-Royal et les anciens, ne pouvait sentir le prix de l’esprit philosophique et des talents de Perrault ; Perrault regardait Boileau avec la supériorité que les hommes qui ont des idées à eux affectent quelquefois, sur ceux en qui ils ne voient d’autre mérite que celui de donner aux idées des autres une expression plus heureuse.

Cet orgueil serait peut-être fondé, si les hommes n’étaient que raisonnables ; mais ils sont sensibles. Il ne suffit pas de leur prouver une vérité ; pour qu’ils la croient, il faut la leur faire aimer, flatter leur sens et parler à leurs passions. Ainsi on doit regarder la poésie comme un moyen d’éclairer les hommes et de les rendre meilleurs. Mais alors aussi il faudra placer au premier rang des poètes l’homme supérieur qui, sachant se rendre maître de nos opinions et de nos passions, joindra au génie de la poésie le don peut-être plus rare encore d’avoir de grandes pensées.

Le philosophe Perrault aurait donc eu tort de ne pas estimer un grand poète ; mais Boileau, qui est lui grand poète pour les gens de goût et les amateurs de la poésie, n’est presque qu’un versificateur pour ceux qui ne sont que philosophes.

D’ailleurs, lorsque Despréaux et Perrault commencèrent à se connaître, le poète n’avait donné que des satires ; et Perrault, occupé sans relâche à chercher ou à développer des vérités nouvelles, ne pouvait ni concevoir qu’on passât sa vie à tourmenter celle de Cotin et de l’abbé de Pure, ni attacher assez de prix au bon goût, pour croire que Boileau