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ÉLOGE DE M. MARGRAAF.


détourne de l'objet de leurs pensées. D’ailleurs, si on traite avec sévérité ces penchants, ces défauts qui ne nuisent point à autrui, c’est sans doute parce qu’ils empêchent celui qui s’y livre d’acquitter envers la société la dette imposée à tous par la nature, ou parce qu’ils le rabaissent en diminuant l’énergie de ses facultés. Si ses talents et l’usage qu’il en a fait l’ont élevé au-dessus de la sphère ordinaire, l’indulgence à son égard n’est-elle pas un devoir que l’équité même exige ? Et comme les juges les plus sévères ne sont pas toujours ceux auxquels il serait le plus permis de l’être, ne pourrait-on pas dire avec justice à ces détracteurs d’un homme supérieur, si avides de chercher ses défauts : Quel droit avez-vous de lui reprocher des fautes qui ne l’ont pas empêché de valoir encore mieux que vous ?

M. Margraaf était d’un caractère doux, facile et gai ; une société peu nombreuse d’amis et d’hommes éclairés qui pouvaient l’entendre, et à qui il pouvait dire ce qu’il pensait, était sa seule distraction et son plaisir le plus doux après celui de l’étude. Quoiqu’il eût assez de talents pour exciter l’envie, on ne lui a pas connu un seul ennemi, ni parmi ses émules, ni parmi les chimistes plus anciens que lui, et qui pouvaient craindre sa concurrence. Peut-être la douceur de ses mœurs, sa réserve dans ses jugements n’eussent pas suffi pour lui mériter cette bienveillance universelle que la médiocrité modeste est seule en possession d’obtenir ; mais l’extrême simplicité qui règne dans ses ouvrages a dû désarmer la jalousie : loin de chercher à fixer sur lui les regards, il sem-