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ÉLOGE DE M. DE MONTIGNI.

En 1760, il fut chargé d’un travail d’un autre genre. On avait répandu en Franche-Comté que le sel de Montmorot gâtait les fromages, objet d’une grande importance pour cette province, et qu’il empoisonnait les bestiaux. Les sources de Montmorot charriaient, disait-on, de l’arsenic et de l’orpiment. Ces bruits s’étaient accrédités parmi le peuple, et il ne faut pas s’en étonner : il s’agissait d’une denrée nécessaire que la loi force d’acheter d’une seule compagnie. Tout bruit populaire qui suppose, dans une denrée de cette espèce, des qualités dangereuses, favorise la haine du peuple ; et l’impossibilité d’en acheter d’une autre main rend cette rumeur effrayante : double raison pour qu’elle soit avidement adoptée. Les propriétaires de Franche-Comté, forcés de vendre leurs bois à bas prix, pour l’exploitation des salines, ou partageaient la crédulité populaire, ou du moins se gardaient bien fie la détruire. M. de Montigni fut envoyé pour examiner jusqu’à quel point ces plaintes pouvaient être fondées. Il ne suffisait pas, pour bien remplir cette commission, d’avoir des connaissances chimiques ; dans ces conjonctures délicates, où la défiance du peuple se porte sur celui même qu’on envoie pour le rassurer, il fallait avoir une conduite qui inspirât la confiance ; il fallait proportionner ses épreuves et ses expériences aux lumières de ceux qu’on avait à convaincre ; ne point traiter avec mépris ou avec légèreté des opinions devenues générales ; n’y point attacher une importance qui aurait pu les accréditer ; examiner si ces sels, même sans avoir des qua-