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ÉLOGE DE M. BERNOULLI.


à ceux dont les qualités brillantes les humilient, l’accusaient d’un vice bien indigne de cette grandeur dans l’esprit et dans le caractère, compagne presque inséparable du génie : ils prétendaient que M. Bernoulli était avare. Il est vrai que les dépenses inutiles, celles de la vanité, celles qui font perdre beaucoup de temps et procurent peu de plaisir, lui étaient inconnues ; mais sa maison, sa table, ses habits, avaient toute la recherche qui est compatible avec la simplicité. Il était bienfaisant, et l’était sans faste, sans chercher à le paraître. Il a fait une fondation en faveur des pauvres étudiants qui passaient à Bâle, et il l’a faite de son vivant. Enfin, dans plusieurs circonstances où il a été forcé de choisir entre la fortune et sa liberté, son repos ou ses goûts, c’est toujours la fortune qu’il a sacrifiée.

Il aimait la paix, et sa vie n’a point été troublée par des querelles littéraires. Il s’en élève rarement entre les géomètres ; ils ont peu de juges ; ces juges ne peuvent être ni éblouis ni séduits, et ce qui est plus précieux encore, ils ne peuvent être injustes ; on leur démontrerait bientôt qu’ils se sont trompés dans leur jugement ; ils partageraient la défaite de celui dont ils auraient favorisé les prétentions, et l’intérêt de leur amour-propre les force à être équitables : aussi n’y a-t-il eu de longues disputes en ce genre, que sur ces questions qui sont placées sur les limites de la métaphysique et de la géométrie, et où la première de ces sciences peut faire entrer, jusqu’à un certain point, les doutes, la subtilité, les nuages et l’incertitude qui l’accompagnent, moins peut-être