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ÉLOGE DE M. BERNOULLI.


ce qu’ils connaissent le moins, ont prétendu avoir remarqué qu’il est très-possible d’avoir beaucoup de talent pour les sciences et de manquer d’esprit. Cette observation est peu fondée : ou l’homme qui manque réellement d’esprit n’a, quoi qu’on en puisse dire, qu’un talent médiocre et une réputation usurpée ; ou, si celui qui a possédé un véritable talent, paraît être sans esprit, c’est qu’il dédaigne d’en montrer, et qu’étrangler aux objets dont la société s’occupe, il y garde le silence ou y parle sans intérêt. Cependant cette opinion a dû avoir des partisans nombreux ; elle est également propre à décrier les gens d’esprit et à consoler ceux à qui la nature a refusé le talent. Il nous doit donc être permis de remarquer ici que M. Bernoulli, quoiqu’il fût un homme de génie, avait cependant beaucoup d’esprit, même pour ceux qui n’auraient pas été en état de sentir tout celui qui brille dans ses ouvrages.

Comme tous les hommes nés avec le talent de l’observation, il savait démêler les ruses, pénétrer les petits secrets des passions ou des vices ; mais il ne se servait de cet art que contre les méchants, se faisant un devoir d’humanité et de justice de ménager les sots, excepté quand ils avaient la prétention de nuire. S’il se laissait aller trop facilement à sa vivacité naturelle, il rachetait ce défaut par un fonds de douceur et d’amabilité qui ne le quittait pas, et surtout par les formes agréables ou piquantes qu’il mettait dans ses vivacités ou dans la manière de les réparer.

Les hommes qui cherchent à trouver des défauts