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ÉLOGE DE M. BERNOULLI.


ne fit jamais rien qui pût les confirmer dans cette opinion ; mais aussi ne fit-il jamais rien pour la détruire.

Dans tous les genres de plaisirs, ceux qui promettent le plus ne sont pas ceux qui donnent davantage : souvent les jouissances d’amour-propre, les plus piquantes qu’éprouve un homme célèbre, ne sont dues ni à ses grands travaux, ni à ses succès les plus brillants. M. Daniel Bernoulli, assez sincère pour convenir qu’il avait connu ces plaisirs, se plaisait à raconter à ses amis deux petites aventures qui l’avaient, disait-il, plus flatté que les honneurs et les couronnes littéraires dont les souverains et les sociétés savantes l’avaient comblé. Sa conversation avait piqué la curiosité d’un savant avec lequel il voyageait : ce savant voulut savoir le nom de son compagnon de voyage : Je suis Daniel Bernoulli, répondit-il avec simplicité ; et moi je suis Isaac Newton, répliqua l’inconnu, qui crut que M. Bernoulli se moquait de lui, et qui ne voulut croire que sur des preuves bien authentiques, qu’un homme d’une figure si jeune et d’un extérieur si simple fût ce Daniel Bernoulli déjà si célèbre en Europe. Une autre fois Kœnig, mathématicien habile, en dînant chez M. Bernoulli, lui parlait avec quelque complaisance d’un problème assez difficile qu’il n’avait résolu qu’après un long travail : M. Bernoulli continua de faire les honneurs de son dîner, et avant de sortir de table il présenta à Kœnig une solution de son problème, plus élégante que celle qui lui avait tant coûté.

Quelques-uns de ces hommes prompts à juger de