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ÉLOGE DE M. BERNOULLI.


si souvent des prétentions fondées sur des fables, de brillantes prérogatives achetées par des bassesses, de grandes dignités avilies par des actions honteuses, et cent titres d’honneur entassés à la suite d’un nom déshonoré.

M. Bernoulli était simple, sans vanité, sans fausse modestie ; sa société était agréable ; il n’y mettait aucun art, excepté celui de faire parler les autres de ce qu’ils savaient le mieux. Il ne se souvenait de la supériorité de son génie et de sa gloire que pour sentir qu’il devait chercher à se la faire pardonner, et dédaigner des succès de société trop humiliants pour les autres, et pour lui trop petits et trop faciles.

Il ne s’est point marié. Dans sa jeunesse, on lui proposa un parti très-avantageux ; mais l’extrême économie de la femme qu’on lui destinait l’eut bientôt décidé à rompre avec elle. Depuis ce temps, il n’a plus pensé au mariage que pour se souvenir qu’il avait été sur le point de perdre en un jour sa liberté et son repos, et pour se fortifier dans la résolution de ne plus s’exposer au même péril. Décent dans ses mœurs sans être austère, il ne fit pas à l’opinion l’honneur de la braver ; mais il ne lui sacrifia rien de ce qui pouvait contribuer à la douceur de sa vie.

Quoiqu’il respectât la religion de son pays dans ses discours comme dans ses écrits, et qu’il en suivît même les pratiques, à la vérité très-peu gênantes, il était fortement soupçonné de n’avoir pour elle qu’un respect extérieur ; ses pasteurs surtout l’accusaient d’avoir porté très-loin la liberté de penser. Il