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ÉLOGE DE M. BERNOULLI.


la perte de chacun est fort supérieure à celle du gain qu’il peut espérer. Ainsi, le calcul conduit M. Bernoulli à conclure que le gros jeu ne sera jamais l’occupation d’un homme raisonnable. Mais quelque ingénieuse que soit l’idée de M. Bernoulli, elle ne suffit pas pour résoudre toutes les objections auxquelles est exposée cette règle proposée par Fermat, par Pascal, par Huyghens, par Jacques Bernoulli, et adoptée depuis, sans examen, par un grand nombre de géomètres. On doit à M. D’Alembert d’en avoir développé toutes les difficultés, et montré qu’il faut ou lui en substituer une autre, ou ne l’admettre qu’avec des restrictions, ou enfin l’employer d’une manière nouvelle.

En 1760, M. Bernoulli appliqua le calcul des probabilités à l’inoculation ; il vit cette question en homme public, et on ne peut nier qu’il n’ait établi d’une manière victorieuse, et par une analyse très-fine, les avantages de cette opération pour un État où elle serait généralement adoptée ; mais il ne l’envisagea point relativement à chaque particulier. Sous ce point de vue, la question change : en effet, si un grand nombre d’hommes se font inoculer en un jour, il importe peu à l’intérêt général qu’une petite partie de ces hommes risque de perdre la vie au bout de quelques jours, puisque l’État achète à ce prix une sorte de certitude de conserver plus longtemps ceux qui échapperont à ce léger péril. Il n’eu est pas de même pour chaque particulier ; il s’agit, pour lui, de comparer un risque très-petit, mais prochain et resserré dans un espace de temps