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ÉLOGE DE M. TRONCHIN.


à prendre la route qu’il prescrit, et obtient à moins de frais un succès plus sûr que s’il avait prodigué les machines, et déployé tout le faste et toutes les ressources de l’art.

C’est là ce qu’il faut entendre, sans doute, quand on dit que la médecine doit seconder la nature et non la contrarier. Le mot de nature est un de ces mots dont on se sert d’autant plus souvent, que ceux qui les entendent ou les prononcent y attachent plus rarement une idée précise.

Ceux surtout qui parlent de médecine font souvent de la nature une espèce d’être moral qui a des volontés, qui supporte impatiemment la contradiction, qui a quelquefois assez de sagacité pour sauver le malade et bien diriger ses efforts, mais qui, malgré les bonnes intentions qu’on lui suppose, est sujette à se tromper presque aussi souvent que les médecins. Il ne faut pas croire que l’art de la médecine puisse consister à s’en rapporter à cet être imaginaire, à ne faire aucun remède, à se contenter d’attendre avec tranquillité l’événement, quel qu’il soit, pour se réserver la ressource d’en accuser la nature lorsqu’il est malheureux. On doit également se défier, et du médecin qui prodigue les remèdes pour faire briller les ressources de son art, et de celui qui n’en fait aucun, dans la vue d’éviter le reproche d’avoir tué le malade. L’ignorance peut également prendre l’un ou l’autre parti, et se promettre le succès eu choisissant celui qui s’accorde le mieux avec l’esprit du moment, ou qui s’écarte le plus de la routine du pays, celui enfin qui doit dans tel lieu.