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ÉLOGE M. DE MAUREPAS.


d’ingrats encore que la perversité ou l’orgueil de ceux qu’on oblige.

Son esprit était naturellement juste. Les circonstances de la vie l’avaient empêché de se former à une application suivie et profonde ; mais, également au-dessus des préventions de l’habitude, des préjugés de sa jeunesse et de ceux du ministère, il adoptait sans peine des principes nouveaux, quoique contraires aux opinions reçues, et même aux siennes, lorsque ces principes le frappaient par ce caractère de vérité et de simplicité, qui trompe rarement. Mais il était trop distrait par le courant des affaires, trop souvent entraîné par les événements, pour méditer un plan général d’après les principes dont il avait reconnu la vérité, ou pour en suivre l’exécution avec constance.

La finesse qu’on remarquait en lui n’était pas cette subtilité d’un esprit faux et bizarre qui ne trouve profond que ce qui est obscur, et vrai que ce qui est contraire à l’opinion des hommes éclairés. Sa conduite, ses discours montraient combien il avait de finesse dans l’esprit ; mais fallait-il examiner ou juger, un sens droit et simple était son seul guide. Sa mémoire était prodigieuse : il n’oubliait ni les affaires, ni les noms, ni les personnes, ni les anecdotes, ni même les généalogies ; mais il ne s’en souvenait qu’à propos et lorsqu’il en avait besoin. Sa conversation était naturelle et gaie ; il aimait à conter, et contait bien, paraissant moins songer à l’effet qu’il pouvait produire sur ses auditeurs, que se livrer au plaisir de se rappeler ce qui l’avait occupé