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ÉLOGE M. DE MAUREPAS.


pouvoir ; l'homme vertueux jouit en paix, dans une retraite libre, de sa renommée et du témoignage de sa conscience. Ainsi, en bornant la disgrâce d’un ministre à la privation de sa place, la justice est observée du moins à l’égard des individus ; et si l’on a eu le malheur de méconnaître la vertu ou le génie, on s’épargne le remords si douloureux de les avoir persécutés [1].

Nous ajouterons encore que, dans aucune époque de notre histoire, les ennemis des ministres n’ont été plus en sûreté. Cette conduite était à la fois, dans M. de Maurepas, l’ouvrage de sa modération naturelle et celui de sa raison. Il savait que c’est la rigueur seule qui donne aux partis de l’activité et de la force ; que, pour les diviser, il suffit de les tolérer ; et que les hommes, qui ont les mêmes sentiments et les mêmes intérêts, ne deviennent à craindre que, lorsqu’en s’occupant d’eux, on les avertit de se réunir.

Élevé dans des principes pacifiques, M. de Maurepas aimait la paix ; il ne consentit à la rompre que lorsqu’il s’y vit contraint par une nécessité presque indispensable ; et la guerre qu’il approuva, noble dans ses motifs, aussi juste dans ses principes que peut l’être une guerre qui n’est pas purement défensive, paraissait presque indépendante du hasard dans ses succès, et ne pouvait réveiller la jalousie d'au-

  1. On demandait à un roi s’il exilerait un ministre dont il avait cru le déplacement nécessaire : Pourquoi l’exiler répondit-il, je ne veux pas avoir l’air de le craindre.