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ÉLOGE M. BERTIN.


tune ; qu’on peut, sans cesser d’être soi-même, cesser d’être tout ce qu’on était ; et qu’il ne faut qu’un dérangement insensible dans quelques organes, pour enlever en un instant à un homme supérieur ce qui le distingue même des êtres les plus inférieurs au commun des hommes.

Mais un instant aussi peut tout réparer : à peine M. Bertin eut-il été délivré de sa maladie, que son esprit reprit toutes ses forces, rien de ce qu’il avait su n’était oublié ; les détails immenses de l’anatomie, le nom des auteurs qu’il avait lus, leurs découvertes, leurs erreurs, sa mémoire retrouva tout dans le même ordre et à la même place ; la même sagacité pour saisir les objets, la même marche dans les idées, la même manière de les exposer, tout lui fut rendu ; et il semblait que sa maladie n’eût fait que retrancher quelques années de sa vie.

Qu’il nous soit permis de faire observer ici une ressemblance frappante entre la maladie de M. Bertin et celle de l’infortuné Charles VI : elle fut également préparée par des chagrins, et causée par la terreur ; elle commença de même par un accès de délire, suivi d’une longue et profonde léthargie ; et ce prince en sortait de même pour reprendre sa tranquillité, sa raison, sans aucun reste de son premier état que de la mélancolie et de la faiblesse. Ainsi, la France eût vraisemblablement évité les malheurs auxquels l’exposèrent les rechutes de Charles VI, si ce prince infortuné eût trouvé dans sa famille les mêmes soins que M. Bertin a trouvés parmi des étrangers ; mais il était entouré de proches