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ÉLOGE DE M. BERTIN.


pondit-il, qu’il est vendredi, et qu’il n’est qu’onze heures ! et il ne se trompait pas. Ce phénomène n’est extraordinaire que par la suite d’idées qu’il semble indiquer ; on a vu souvent des malades à l’agonie conserver, au milieu des léthargies les plus profondes, la faculté de voir et d’entendre, et cette observation bien constatée impose à ceux qui entourent un mourant le devoir de veiller rigoureusement sur leurs discours, sur leurs gestes même, et de songer combien un mot qu’on croit que le mourant ne peut entendre, un mouvement qu’on croit qu’il ne peut apercevoir, peuvent quelquefois accélérer ou empoisonner ses derniers instants.

Tandis que M. Bertin était plongé dans cette léthargie, son âme était en proie aux plus horribles agitations : né avec une conscience très-timorée, il veillait avec sévérité et avec scrupule sur lui-même, et cherchait, quels que fussent les objets qu’il était obligé de décrire, ou les phénomènes qu’il fallait exposer dans ses leçons, à ne point donner atteinte à cette pureté d’imagination qu’on prétend que certains casuistes ont su conserver dans des circonstances non moins difficiles ; néanmoins, pendant sa léthargie, son imagination se remplissait sans cesse de ces mêmes images qu’il n’avait plus la force de repousser ; il se consumait en vains efforts pour les éloigner de lui, et c’était au milieu de ce combat pénible qu’il se réveillait : mais alors son âme affaiblie se reprochait ses songes comme des crimes ; il croyait qu’ils devaient le rendre l’objet de l’horreur et du mépris de tous ceux qu’il aimait ou qu’il res-