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ÉLOGE DE M. BERTIN.


usages que leur construction même force de reconnaître, et non ceux auxquels les raisonneurs, qui jugent trop souvent de la sagesse de la nature par la leur, imaginent qu’elle aurait bien fait de les destiner. Peut-être, en effet, les sciences sont-elles assez avancées pour que nous ayons enfin la sagesse ou l’orgueil de nous contenter de nos richesses réelles, sans chercher à faire parade de richesses imaginaires.

Nous voici parvenus à l’époque où une maladie cruelle vint interrompre le cours d’une vie qui semblait ne devoir être remplie que par des travaux utiles et une gloire méritée. Épuisé par des excès de travail qui lui avaient ravi le sommeil, tourmenté par des querelles littéraires, troublé par des chagrins domestiques, M. Bertin fut exposé à des menaces de violences de la part d’un homme qui ne lui devait que de la reconnaissance. Son organisation, sur laquelle l’inquiétude et la frayeur avaient tant de pouvoir, ne put résister à de si grandes secousses. Un accès de délire fut le premier symptôme de cette maladie ; M. Bertin l’avait pressenti, et avait appelé M. de Lépine, son confrère, sachant qu’il avait besoin de ses conseils comme médecin, et des consolations de son amitié ; mais lorsque M. de Lépine arriva, il n’était plus temps ; il trouva M. Bertin agité par la crainte d’assassins dont il se croyait poursuivi, et entouré d’armes de toute espèce ; plusieurs de ses amis, enfermés dans sa chambre, n’avaient point la liberté de sortir, et il n’ouvrit la porte à M. de Lépine qu’avec les plus grandes précautions.