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ÉLOGE M. BUCQUET.


des jours où son esprit ne pourrait penser, où son cœur aurait perdu ses affections, méritassent d’être prolongés. Les calmants apaisaient ses douleurs, lui rendaient des forces, et, en lui donnant la liberté de s’occuper encore, lui étaient l’idée déchirante de tout ce qu’il allait perdre et de tout ce qu’il allait laisser ; il abusa de ce secours, si c’était en abuser que de l’employer à diminuer ses peines et à conserver plus entières les facultés de son âme. On lui vit prendre, dans un seul jour, deux pintes d’éther et cent grains d’opium : c’est ainsi qu’il passa les derniers mois de sa vie, ne songeant point à prolonger son existence, mais occupé de se rendre capable d’application tant qu’il existerait. La dernière fois qu’il parut à l’Académie, ce fut pour y lire un mémoire : les phénomènes singuliers que présente l’air inflammable attiraient dans ce moment l’attention des physiciens, et sentant trop qu’il lui fallait renoncer au plaisir de jouir de leurs découvertes, et à la gloire de les partager, il voulut du moins exposer à l’Académie ses vues sur la différence qu’on observe entre l’air inflammable des métaux et celui des marais, et proposer un moyen qu’il avait imaginé pour réduire l’air inflammable des marais au même degré de pureté que celui qui se dégage des substances métalliques. Il y a un an que, dans une assemblée publique, semblable à celle où je rends aujourd’hui ce triste devoir à sa mémoire, nous l’entendîmes prononcer, d’une voix mourante, cette dernière production d’un esprit à qui l’approche de la mort n’avait encore rien ôté de sa vigueur, et nous donner ce der-