Page:Condorcet - Œuvres, Didot, 1847, volume 2.djvu/437

Cette page n’a pas encore été corrigée
417
ÉLOGE M. BUCQUET.


pas incompatible avec le génie des sciences, ne doit pas du moins en être regardée comme une preuve ; c’était cet enthousiasme qu’inspire aux esprits bien faits et aux âmes nobles la vue de la vérité, et l’idée du bien qu’elle peut faire aux hommes : cet enthousiasme étonne d’abord les hommes frivoles, ils le trouvent même ridicule ; cependant il les entraîne, les force bientôt au respect, et souvent ils finissent eux-mêmes par le partager.

Les livres sont, en général, plus propres à enseigner des vérités qu’à en inspirer le goût ; s’ils servent à répandre les lumières, ce sont principalement les enseignements publics qui font naître les savants : les passions, et surtout celles qui ne tiennent pas à nos sens, s’excitent rarement dans la solitude et dans le repos ; mais les hommes rassemblés les reçoivent avec facilité, et leur impression est d’autant plus forte, que plus d’hommes l’éprouvent en même temps, et deviennent, l’un pour l’autre, un objet d’imitation, d’encouragement ou d’émulation.

Un habile démonstrateur est plus utile qu’un écrivain qui lui serait égal en connaissances ou en talents, puisqu’il contribue doublement aux progrès des sciences, et par l’instruction qu’il répand, et plus encore par l’ardeur qu’il sait exciter ; mais aussi trouve-t-il une récompense bien douce dans l’estime et dans l’amitié de ses disciples. On sépare un livre de son auteur ; mais on ne peut pas séparer un professeur de ses leçons : on apprend à respecter sa personne en apprenant à estimer ses lumières, et le sentiment du plaisir qu’on reçoit par l’étude des