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ÉLOGE DE M. LIEUTAUD.


d’ostentation s’il la publiait ; la crainte d’une juste censure empêche bien des fautes, mais celle des jugements injustes ôte souvent à la vertu une partie de son énergie ; car l'effet de l'empire de l’opinion est surtout d’affaiblir les vertus comme les vices, et de retenir les hommes dans le bien comme dans le mal, à peu près au niveau de ceux qui les jugent.

M. Lieutaud mourut le 6 décembre 1780, d’une fluxion de poitrine, après cinq jours de maladie ; son agonie fut courte et paisible : il sentit approcher la mort sans effroi ; sa vie, employée à faire du bien, ne lui laissait ni regrets, ni remords, ni inquiétudes ; il avait conservé toute sa raison. On assure que, fidèle à ses principes de médecine, comme à son caractère de franchise, lorsqu’il entendit ses confrères assemblés autour de son lit de mort, lui proposer différents remèdes (moins peut-être dans la vue de le guérir, que dans celle d’adoucir sa situation par un reste d’espérance), il ne put s’empêcher de leur dire : Je mourrai bien sans tout cela.

Il ne reste de la nombreuse famille de M. Lieutaud qu’une sœur, âgée de quatre-vingt-six ans ; l’un de ses frères lui a laissé des petits-neveux, qui ont été ses héritiers : un autre, entré dans l’ordre des Cordeliers, s’était fait connaître dans nos provinces méridionales par son zèle dans les missions, et en même temps par une bienfaisance active et éclairée, et par une probité sévère, qui lui avaient attiré les bénédictions des pauvres et la confiance des autres classes. La mémoire de l’homme obscur, dont il ne reste que le souvenir du bien qu’il a fait, mérite