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ÉLOGE DE M. LIEUTAUD.


cher ; et si on parcourt les différentes classes de la société, on trouvera que plus elles sont élevées, plus cette connaissance y devient rare. M. Lieutaud avait même la malice bien excusable de démasquer aux yeux du prince les finesses qu’il avait démêlées. Un jour, que le feu roi lui parlait de plusieurs médecins dont ses courtisans lui avaient vanté le mérite, et lui demandait s’ils ne l’avaient point exagéré : « Sire, lui dit-il, ces médecins ne sont rien de ce qu’on vous a dit ; mais c’est souvent avec cette monnaie que les gens de la cour payent leurs médecins. »

Le revenu de M. Lieutaud était très-considérable, et il eut pu même en être embarrassé, avec la simplicité de mœurs qu’il avait conservée. On accuse souvent d’avarice des hommes qui ne font point de dépense, uniquement parce qu’ils ont placé leurs plaisirs dans des objets qui coûtent peu, et qu’ils n’ont pas le temps de dépenser en choses indifférentes. La bienfaisance de M. Lieutaud lui a fait éviter ce reproche ; une grande partie de son superflu était destinée aux pauvres ; les médecins livrés à la pratique méritent souvent cet éloge, peut-être parce qu’ils ne peuvent se distraire de la vue des maux de l’humanité, et qu’ils sont dans l’heureuse impossibilité d’oublier qu’il est des misérables. M. Lieutaud eût bien voulu consacrer au même usage la dépense de la table, que, selon l’étiquette, un premier médecin ne peut se dispenser d’avoir ; il ne l’osa point, il craignit ou le reproche d’avarice s’il tenait cette destination secrète, ou celui