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ÉLOGE DE M. LIEUTAUD.

M. Lieutaud employait une partie de la préface de son ouvrage à prouver qu’un médecin doit être anatomiste : son exemple avait confirmé cette maxime ; et c’était par une étude approfondie de l’anatomie qu’il s’était préparé à la pratique de la médecine. L’opinion contraire est pourtant assez répandue, et il est peut-être inutile de la combattre ; en effet, elle n’est pas fondée sur des observations particulières aux deux sciences qu’on voudrait séparer ; elle a précisément la même origine que le préjugé qui fait regarder la chimie théorique comme inutile aux arts, et les mathématiques comme superflues dans la mécanique pratique, dans la science de la marine, dans l’art de la guerre. Ces préjugés sont soutenus avec chaleur par les praticiens ignorants, parce qu’il en coûte moins pour décrier une science que pour l’approfondir ; ils sont utiles aux charlatans, parce qu’il est plus aisé d’en imposer sur son habileté que sur ses connaissances ; ils leur servent pour écarter d’eux, comme juges incompétents, les seuls hommes qui pourraient les apprécier et les démasquer. Un intérêt plus caché séduit le public en faveur de ces mêmes préjugés ; les hommes sont moins blessés d’une supériorité qui se borne à un seul objet, qui n’est due qu’à un certain tact naturel, ou à une longue expérience, que de celle qui les forcerait à reconnaître une supériorité réelle d’esprit et de raison. On aime à se consoler de ne pas être savant, en se persuadant que les sciences sont inutiles, et on se livre volontiers à l’enthousiasme pour des qualités qu’on peut regarder comme