Le voyage rétablit sa santé ; mais sa tête s’affaiblit
de plus en plus : il revint à Paris en 1771, après
trente-six ans d’absence, retrouver son frère, le reconnaître et pleurer dans ses bras. Il savait encore
qu’il avait un frère et qu’il l’aimait ; mais ce fut la
seule chose dont il eût conservé le souvenir, ou plutôt
le sentiment ; ses découvertes, ses vues, ses travaux,
le fruit de quarante années consacrées aux
sciences, ses chagrins, ses malheurs, tout était effacé
de sa mémoire. Un frère malheureux, reçu dans une
famille vertueuse, un martyr de la botanique, recueilli
dans une maison qu’on pourrait appeler le
sanctuaire de cette science, fut traité avec le respect
qu’on devait à son malheur et à la cause de ce
malheur ; on lui prodigua les soins, ils furent inutiles.
Il vit mourir ce frère qu’il avait tant aimé ; mais il
était devenu incapable de sentir sa perte, et, par une
espèce de compensation dont il faut rendre grâce à
la nature, son état lui épargna du moins le sentiment
de cette dernière infortune. Ses neveux, à qui il
restait seul, lui donnèrent toutes les marques de tendresse qu’il pouvait recevoir ; ils cherchaient à prolonger, à adoucir sa vie, à conserver longtemps les
restes respectables d’un vieillard qui, assez malheureux
pour avoir perdu jusqu’au souvenir de ce qu’il
avait été, méritait que les autres en gardassent la
mémoire.
Il recevait ces secours avec une sensibilité et une douceur touchantes ; privé de la mémoire, incapable de sentir combien il avait de droits à tout ce qu’on faisait pour lui, les soins de chaque jour lui parais-