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ÉLOGE DE M. DE JUSSIEU.


relle, ou plutôt il chercha à compléter son travail, en y ajoutant la carte des pays qu’il avait vus. En parcourant ses journaux, dont nous ne donnons ici qu’une faible esquisse, on sent que si aucune partie de ses travaux n’eût été perdue, il nous eût fait connaître le Pérou mieux que nous ne connaissons encore plusieurs parties de l’Europe.

Arrivé dans le Potosi, M. de Jussieu, qui cependant sentait déjà les premières atteintes des infirmités dont il a été la victime, non-seulement y pratique la médecine, mais il l’enseigne aux médecins espagnols et péruviens ; il leur apprend à connaître les vertus des plantes, lève les cartes de la province, examine les mines, réforme les travaux publics ; enfin, on ne lui permet point de partir qu’il n’ait rétabli un pont nécessaire à la communication du pays, et ruiné depuis vingt ans ; c’était pour la seconde fois qu’il éprouvait la même violence, et qu’on récompensait son talent et son zèle par la perte de sa liberté. Le botaniste redevient ingénieur, il reconstruit le pont, forme des digues qui doivent retenir le fleuve grossi par des torrents, rétablit des chemins. Ainsi, dans les premiers âges des nations, tous les arts, toutes les sciences appartenaient à un seul homme. Une pyramide, élevée aux dépens du public, atteste la reconnaissance du pays pour M. de Jussieu, et la violence qu’on lui avait faite, violence dont cette pyramide était une sorte de réparation ; car ceux qui peuvent tout croient trop aisément que par des marques d’honneur ils peuvent aussi compenser ou réparer une injustice.