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ÉLOGE DE M. DE LINNÉ.

Ainsi ce soin de s’occuper de son éloge, qui dans un autre eût été peut-être l’effet d’un vain amour propre, ne fut chez lui qu’une nouvelle marque de son amour pour la vérité. Après avoir combattu toute sa vie contre les erreurs, il ne voulut pas laisser subsister celles que l’admiration ou l’envie auraient pu accréditer pour ou contre lui.

L’extrême laconisme des ouvrages de M. de Linné, l’usage peut-être trop fréquent de termes techniques, souvent tirés du grec, sa manière de tout réduire en tables, en rendent la lecture difficile : il faut les étudier plutôt que les lire. À la vérité, on en est dédommagé par la précision des idées, et par l’avantage de voir d’un coup d’œil un plus grand nombre de résultats. M. de Linné trouvait sans doute que plus la vérité est nue, plus elle est belle, et que les ornements dont on cherche à la parer ne font que la cacher. Il songeait à former des naturalistes, plus qu’à amuser des amateurs ; il voulait des disciples, et dédaignait de chercher des prôneurs.

Il n’ignorait pas, néanmoins, combien il est utile de répandre le goût des véritables sciences dans toutes les classes d’hommes qui peuvent avoir sur le bonheur des nations une influence plus ou moins grande : il savait qu’après avoir obtenu la gloire de reculer les bornes des sciences, il restait au philosophe l’obligation de les rendre utiles, et qu’elles n’étaient utiles qu’autant qu’elles devenaient populaires : mais pour faire goûter les sciences à des hommes dissipés, avides de plaisir, ennemis du travail, moins jaloux de savoir que de se faire honneur