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ÉLOGE DE M. MALOUIN.


devint l'ami. M. Malouin eut plusieurs autres obligations à ce philosophe célèbre ; et il se plaisait à publier quelle noblesse, quelle simplicité M. de Fontenelle savait mettre dans les services qu’il rendait, souvent sans attendre qu’on les sollicitât. Il sortait pour les autres de cette négligence, de cette paresse qu’il se croyait permis d’avoir pour ses propres intérêts. Son amitié était vraie et même active : aucun genre de sensibilité ne lui était étranger ; il en connaissait surtout les peines, et il avoua à M. Malouin qu’elles étaient les plus cruelles qu’il eût éprouvées, quoique les injustices qu’il avait si longtemps essuyées dans la carrière des lettres, eussent lait sentir bien vivement les peines de l’amour-propre à un homme qui aurait été moins philosophe ou plus personnel. Il savait, disait avec plaisir M. Malouin, obliger ses amis à leur insu, et leur laisser croire qu’ils ne devaient qu’à eux-mêmes ce qu’ils tenaient de son crédit et de la juste considération qu’il avait obtenue. Ce désir d’obliger ne l’abandonna pas dans les dernières années de sa vie, et survécut même à l’affaiblissement de sa mémoire et de ses organes. Un de ses amis lui parlait un jour d’une affaire qu’il lui avait recommandée : Je vous demande pardon, lui dit M. de Fontenelle, de n’avoir pas fait ce que je vous ai promis. Vous l'avez fait, répondit son ami ; vous avez réussi, et je viens vous remercier. Eh bien ! dit M. de Fontenelle, je n’ai point oublié votre affaire ; mais j'avais oublié que je l’eusse faite. Cependant on a cru M. de Fontenelle insensible, parce que, sachant maîtriser les mouvements de son âme,