Page:Condorcet - Œuvres, Didot, 1847, volume 2.djvu/311

Cette page n’a pas encore été corrigée
291
ÉLOGE DE M. DE HALLER.


se rendit aux invitations du roi d’Angleterre ; il lui en coûta d’abandonner sa patrie, de renoncer au titre, ou plutôt à la jouissance des droits de citoyen libre ; d’arracher une jeune épouse qu’il aimait à sa famille et à son pays : mais ce sacrifice était nécessaire ; il ne pouvait espérer à Berne d’assez grands avantages pour assurer la fortune de ses enfants. Son âge l’éloignait encore pour longtemps des places qu’il pouvait se flatter d’obtenir dans le gouvernement : il s’était aperçu qu’on se souvenait à Berne du talent qu’il avait montré pour la poésie satirique ; et quoiqu’il eût brûlé ses satires, ses ennemis et ses rivaux ne les avaient pas oubliées. C’était assez qu’on lui en connût le talent, pour qu’il inspirât de l’ombrage dans une aristocratie, tant la satire est redoutée dans ces constitutions, où la plus grande force du gouvernement réside dans l’opinion que les citoyens ont de sa sagesse ; où les chefs ne sont sûrs de régner sans trouble, qu’autant qu’ils savent cacher au peuple qu’ils sont ses maîtres, et lui persuader qu’ils ne sont que ses magistrats. D’ailleurs, ces chefs, presque toujours assez sages pour affecter une modestie qui assure leur puissance en la rendant moins odieuse, distingués des citoyens par leurs prérogatives, mais confondus avec eux dans la vie privée, n’ont ni ces titres, ni cette pompe, ni ces respects extérieurs, qui ne préservent pas les grands des monarchies de sentir les traits du ridicule, mais qui les empêchent d’en être humiliés.

M. de Haller voyait qu’en renonçant pour quelque temps à sa patrie, en acceptant un emploi qui assu-