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ÉLOGE DE M. DE HALLER.


decin célèbre, et dont il espérait recevoir des lumières sur l’étude de la nature. Mais ce nouveau maître ne lui enseigna que les systèmes de Descartes ; aussi le jeune élève préféra-t-il les fictions de la poésie à celles de la philosophie, comme souvent les bons esprits aiment mieux lire un roman donné pour tel, qu’une histoire mêlée de fables. Il fit donc beaucoup de vers ; et le feu ayant pris à la maison qu’il habitait, il courut chercher ses vers au milieu des flammes, les enleva, et crut avoir tout sauvé.

Cependant la philosophie l’emporta bientôt. Un an seulement après cet événement, son esprit avait déjà acquis tant de maturité, qu’il eut le courage de condamner au feu ces mêmes vers qu’il en avait sauvés l’année d’auparavant au péril de sa vie.

Il y avait parmi ces poésies plusieurs satires, genre pour lequel M. tie Haller avait déjà montré beaucoup de talent ; ainsi ce sacrifice prouvait non-seulement sa modestie, mais encore les progrès qu’il avait faits dans la connaissance du cœur humain. Il sentait que l’homme vertueux doit rarement employer cette arme qui punit, mais qui ne corrige point, et dont il semble qu’il ne doit être permis de se servir que contre ceux qui, par leur rang ou leur pouvoir, sont à l’abri de tout autre châtiment.

Le moment de se choisir un état était venu ; M. de Haller voulait étudier la nature, et il enivrasse la seule profession qui pût lui laisser la liberté de se livrer sans réserve à cette étude, la médecine.

Ce n’était pas sans doute l’état qui pouvait le conduire le plus sûrement à la fortune et aux places,