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ÉLOGE DE M. DE BOURDELIN.

La nature, en accordant une longue vie à quelques hommes, les condamne à des pertes irréparables, qui ne peuvent être adoucies que par l’espérance de ne pas survivre longtemps à ce qu’on a perdu. M. de Bourdelin vit d’abord mourir son frère, qui était encore son élève, son ami, le compagnon de ses travaux, qui, suivant la même carrière, vivant dans la même maison, pratiquant la même bienfaisance, heureux par les mêmes goûts et par les mêmes vertus, lui appartenait par les liens les plus chers à la fois et les plus respectables. Il le perdit, quoique la différence des âges dut lui faire espérer de n’avoir jamais à le pleurer ; il le perdit au moment où, après l’avoir rendu digne du nom qu’il portait, il allait le voir partager sa réputation, il allait jouir de ses succès.

Il avait suivi Mesdames à Plombières, en 1762. Pendant que son devoir l’y retenait, sa femme lui fut enlevée, et après cinquante-trois ans d’une union heureuse et inaltérable, il fut privé de la consolation de lui donner ses derniers soins et ses derniers secours. Heureusement, ce sentiment affreux, que sa présence eût pu lui conserver la vie, ne vint point ajouter à sa douleur : il l’avait confiée aux soins de M. Bouvart, son ami, en qui, soit modestie, soit justice, il reconnaissait sans peine des lumières supérieures, et dont l’amitié active, tendre et généreuse rendit à une malade, si chère à tous deux, des soins que M. de Bourdelin même aurait à peine égalés.

Il perdit enfin, en 1775, le fils de ce frère qu’il