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ÉLOGE DE M. DE JUSSIEU.


France, par les voyages immenses que les Anglais avaient entrepris, par la grandeur de leur commerce, par l’étendue de l’empire qu’ils possédaient alors dans le nouveau monde. M. de Jussieu rapporta dans un de ces voyages, le cèdre du Liban qui manquait au Jardin du roi ; et il a eu le plaisir de voir les deux pieds de cet arbre, qu’il avait apportés d’Angleterre dans son chapeau, croître sous ses yeux et élever leurs cimes au-dessus des plus grands arbres.

S’il eût pu être susceptible d’un mouvement de jalousie, il eût été jaloux des botanistes assez heureux pour embrasser dans de grands voyages les pays immenses où, sous un autre ciel et sur un sol différent, la nature a rassemblé une foule de végétaux inconnus à nos climats ; il leur eût envié le plaisir de voir à chaque pas des choses nouvelles, et de compter le nombre de leurs découvertes par le nombre des plantes qu’ils recueillaient. On lui parlait, il y a quelques années, d’un voyageur qui se vantait d’avoir découvert quatre mille espèces de plantes : une tristesse involontaire parut un moment s’emparer de lui. J'essayerai du moins de les comparer à ce que je connais, dit-il un instant après ; et il fut consolé.

Malgré son âge, M. de Jussieu avait conservé une santé forte : elle était due à l’uniformité de sa vie, à l’habitude de faire chaque jour, chaque semaine, chaque année, la même chose à la même heure, au même jour, dans la même saison. Mais lorsque après avoir presque perdu la vue, il eut abandonné à son neveu le soin des plantes du Jardin du roi, la