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ÉLOGE DE M. DE JUSSIEU.


qu'un homme d’autant d’esprit s’occupe de botanique et qu’il ne nous apprenne pas quelque chose.

Heureusement la sensibilité de M. de Jussieu nous a rendu ce que sa réserve nous eût fait perdre. Il avait perdu M. Antoine de Jussieu son frère, qu’il avait aimé comme un ami et respecté comme un père. Leur union avait été inaltérable : jamais M. de Jussieu n’avait oublié un moment que son frère avait été son maître, et jamais son frère n’avait songé que la réputation de M. de Jussieu s’était élevée au-dessus de la sienne. A sa mort, M. de Jussieu se livra à une douleur profonde : il refusa d’occuper au Jardin du roi la première place de botanique que son frère laissait vacante ; et, en faisant ce refus, il ne songea pas que, quelle que fût la place qu’il occupait, elle ne pouvait plus être que la première. Il voulait même quitter Paris, et s’ensevelir dans la retraite ; mais l’habitude, le plaisir d’être utile, un charme secret qui l’arrêtait dans les lieux où son frère avait vécu, le retinrent ; il chercha de nouveaux liens ; il appela auprès de lui les enfants d’un autre de ses frères, et les adopta. Un de ses neveux annonçait du talent pour la botanique, et le soin de le former devint l’occupation chérie de M. de Jussieu ; il exposait à ce neveu toutes ses idées, toutes ses vues ; l’ensemble du vaste plan qu’il avait formé, les incertitudes qui lui restaient encore, les vides qu’il n’avait pu remplir. Le neveu, avide de s’instruire, et tendrement occupé du soin de rendre heureux les jours d’un vieillard que la privation presque totale de la vue empêchait de