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ÉLOGE DE M. DE JUSSIEU.


dant il ne publia point ses opinions, quelque bien fondées qu’elles fussent à ses propres yeux ; et il laissa l’Europe entière adopter une méthode artificielle, quoique cette méthode fût l’ouvrage du seul homme qu’il pût regarder comme un rival.

Le feu roi avait désiré d’avoir à Trianon un jardin de plantes, et M. de Jussieu fut chargé, en 1759, de présider à l’arrangement de ce jardin : cette faveur, s’il est permis déparier ici le langage des courtisans, n’était due qu’à sa réputation. On peut observer encore comme une espèce de phénomène qu’une place, que le goût du feu roi pour la botanique pouvait rendre très-importante, ne fut pas demandée, et que personne ne se crut digne de la remplir : mais telle était la supériorité reconnue de M. de Jussieu, que son refus pouvait seul donner le droit de se proposer. Le roi le mandait souvent à Trianon, et se plaisait à causer familièrement avec lui. L’extrême simplicité du botaniste avait ôté au monarque, dès leurs premières entrevues, cet embarras que fait contracter aux princes l’habitude de la représentation, le trouble involontaire que leur présence fait éprouver, l’importance de leurs moindres paroles, le malheur surtout de ne vivre qu’avec des hommes occupés en leur parlant de vues secrètes, et la nécessité de songer à se défier de leurs pièges. Le feu roi trouvait dans M. de Jussieu un homme toujours également prêt à répondre à ses questions ou à lui avouer qu’il n’y savait pas répondre ; et ce prince ne pouvait craindre de lui, ni insinuations dangereuses, ni demandes indiscrètes.