Page:Condorcet - Œuvres, Didot, 1847, volume 2.djvu/274

Cette page n’a pas encore été corrigée
254
ÉLOGE DE M. DE JUSSIEU.


Jussieu, et la place lui fut accordée : cet hommage rendu à M. de Jussieu par une nation étrangère, et féconde en savants dans tous les genres, est un honneur bien rare, et, ce qu’on croira sans peine, cette anecdote glorieuse était ignorée de sa famille et de ses amis : nous l’avons apprise par les amis de M. Marsili.

Les gens en place consultaient souvent M. de Jussieu : il était bien sur que puisqu’ils s’adressaient à lui, ils ne voulaient que connaître la vérité, et il la leur disait tout entière ; mais s’ils se conformaient à ses vues, il leur en laissait tout l’honneur, persuadé que souvent les hommes puissants craignent moins la vérité, que l’orgueil de ceux qui se vantent de la leur avoir dite.

L’espèce d’obscurité où M. de Jussieu semblait ensevelir son génie, n’était l’effet ni de la paresse, ni de l’indifférence pour la vérité, ni de cette fausse modestie habile à cacher sous le voile de la philosophie et de la paresse, la crainte de perdre une réputation qui ne peut soutenir le grand jour ; sa réserve tenait à une défiance sincère de lui-même, défiance bien naturelle à un philosophe qui n’avait jamais songé à comparer sa science à celle des autres botanistes, mais le petit nombre de ses connaissances à l’immensité des objets de la nature.

Un contraste piquant de zèle pour le progrès des sciences et l’indifférence pour l’honneur d’y avoir contribué, formait, comme nous l’avons déjà dit, le fond de son caractère ; la passion de la gloire n'est jamais que la seconde dans une âme vraiment