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ÉLOGE DE M. DE JUSSIEU.


chercher que l’obscurité. Il a peu écrit, dit-on, mais il a parlé, et d’autres ont écrit d'après lui : mot heureux qui mérite d’être consacré dans nos fastes. On ne connaissait point de livres de lui, mais l’Europe était pleine de ses disciples ; son nom était cher à ses compatriotes, et respecté des étrangers ; jamais aucune voix n’a troublé ce concert unanime du monde savant ; et dans le cours d’une si longue vie, il n’a trouvé, dans l’Europe entière, qu’un rival, dont il obtint l’estime, et pas un ennemi.

Quelques savants ont dû leur réputation à leur commerce de lettres, encore plus qu’à leurs ouvrages : M. de Jussieu écrivait très-peu de lettres ; ses leçons, ses conversations étaient le seul titre de sa gloire ; et l’on sent combien il fallait de connaissances, de mémoire, de génie, et surtout combien il fallait avoir un jugement sur et un esprit juste, pour instruire dans de simples conversations. On peut croire cependant que ses talents ne lui auraient pas mérité tant d’hommages, et que l’on aurait abusé plus souvent de sa facilité, en s’appropriant ses découvertes, que jamais il n’aurait revendiquées, si le respect pour sa personne ne lui avait fait autant d’amis zélés de tous ceux qui le regardaient comme leur maître.

Un trait seul suffira pour juger de l’idée qu’on avait de ses lumières, et de la confiance qu’inspirait son caractère. Il vaquait à Padoue une chaire de botanique ; M. Marsili, alors à Paris, prétendait à cette place ; il n’opposa aux protecteurs, aux sollicitations de ses concurrents, qu’une lettre de M. de