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ÉLOGE DE M. TRUDAINE.


société avec plaisir, on eût pu l’accuser de trop de facilité et d’amour de la dissipation ; mais le goût de la dissipation ne lui a fait négliger aucun devoir. Peu d’hommes en place, peu de particuliers même, ont réuni des connaissances aussi étendues, aussi variées : enfin, la facilité de son caractère ne l’a jamais fait consentir à une chose injuste. Aussi, les ennemis de M. Trudaine, en le jugeant avec une sévérité qu’on n’a jamais ni pour la médiocrité, ni pour le vice, purent bien lui reprocher cette mollesse de caractère, que les obstacles qui s’opposent au bien rebutent trop facilement ; cette faiblesse, qui, dans toutes les actions où la justice n’a point prescrit rigoureusement notre conduite, cède trop aisément à la considération ou à l’amitié, et qui semble ne tenir qu’à la paresse ou à la bonté : mais jamais ces mêmes ennemis n’ont osé ni le soupçonner, ni même l’accuser de cette faiblesse vraiment coupable, qui, née de l’indifférence pour la gloire et la justice, ne voit dans le bien qui s’offre à elle, que des obstacles et des dangers, se prête au mal lorsqu’elle ne craint point d’avoir à en répondre, le commet même avec tranquillité, lorsque, pour s’y refuser, il faudrait compromettre un intérêt d’ambition ou de repos ; faiblesse que l’on juge trop favorablement en ne la regardant que comme un défaut du caractère, puisqu’elle n’est dans ceux à qui on la reproche, qu’un art de cacher, sous le masque de la timidité ou de l’insouciance, des vices plus odieux, et un moyen adroit de se dérober à l’indignation publique en se dévouant au mépris ;