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ÉLOGE DE M. TRUDAINE.


vaut mieux pour l’encouragement des arts, que des récompenses brillantes, tous se croyaient sûrs que rien de ce qui serait utile n’échapperait à la justice de M. Trudaine ; que jamais l’envie ne leur ferait manquer une récompense méritée, que la charlatanerie ne pourrait la leur enlever. Tels étaient les moyens de M. Trudaine : il voulait qu’ils coûtassent peu à l’État, et ne coûtassent rien à la liberté.

Comme ce n’était point de la vanité des artistes, et encore moins de la sienne qu’il s’occupait, il ne mettait aucun faste dans ces récompenses. Il craignait que les mêmes choses qui, chez une nation grave, eussent honoré les talents, ne devinssent lui moyen de les avilir chez une nation légère, habile à saisir le ridicule, et qui, amie de la simplicité, même au milieu de la frivolité et du luxe, voit presque comme un ridicule tout ce qui a de l’appareil et de l’éclat. Il savait encore que dans un pays où il y a une cour, de grandes charges, des dignités héréditaires, des ordres dont le souverain semble s’honorer de porter les marques ; enfin, une noblesse militaire qui se plaît à cacher son origine dans la nuit des temps, toute autre distinction paraît bien petite, et souvent même a l’inconvénient d’annoncer que celui qui l’obtient n’a pas droit de prétendre à ces grandes prérogatives : il savait qu’en récompensant le mérite, il ne faut pas le dégrader, du moins aux yeux des premières classes de la nation, par des honneurs qui lui fassent sentir une différence d’état déjà trop marquée. Une âme délicate et haute faisait apercevoir toutes ces nuances à M. Trudaine. Il vou-