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ÉLOGE DE M. LA CONDAMINE.


il fut sans faste comme sans faiblesse, et vit s’approcher la mort du même œil dont il l’avait bravée tant de fois. Les lettres, les sciences et l’humanité le perdirent le 4 février 1774.

Cette simple exposition de la vie de M. de la Condamine le peint mieux que tout ce que je pourrais ajouter. Incapable de jalousie, puisqu’il n’en eut pas même contre M. Bouguer, il n’eut point d’ennemis, ou du moins il ne crut pas en avoir. Son amitié était courageuse et constante : zélé pour le service de ses amis, capable de leur faire des sacrifices, il se livra aux soins de l’amitié avec cette activité, cette ardeur qu’on n’a que pour les plaisirs : il semblait qu’agir était son premier besoin. Cependant on voit qu’il soupirait après le repos ; il le regardait comme le seul bien réel de la vie ; il croyait insensé de le sacrifier à l’amour de la gloire : mais le repos qu’il regrettait, lui eut été insupportable. Tel est le sort de tous les hommes : l’action nous épuise, le repos nous tourmente ; et il semble que la nature ne nous laisse que le choix de la fatigue ou de l’ennui. Mais l’exemple de M. de la Condamine prouve du moins que l’activité est un grand bien : toujours occupé, toujours agissant, il n’eut jamais le temps de sentir ses maux ; et, malgré tant de souffrances, il ne fut point malheureux.

On n’a point de grandes qualités à un degré si élevé, sans avoir aussi les défauts qui en sont l’excès. L’activité de M, de la Condamine allait jusqu’à l’inquiétude, et le rendait souvent importun à ceux qui ne pouvaient prendre le même intérêt que lui aux