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ÉLOGE DE M. LA CONDAMINE.


1755 que M. Tenon, de cette Académie, eut le courage de faire, en France, les premières inoculations. Il n’en fallait plus pour s’y soumettre, mais il en fallait encore pour les tenter ; il fallait en outre de ce courage d’esprit qui brave les erreurs de la multitude, qui fait que l’on règle sa conduite sur sa propre raison, et non sur l’opinion que les autres hommes formeront d’après l’événement.

L’inoculation, toujours combattue, faisait toujours des progrès. On essaya d’effrayer le gouvernement ; on osa même invoquer le nom de la religion ; enfin, à force de cris et de faits, ou exagérés ou faux, on obtint, du parlement, un arrêt qui, dans la vue, sans doute très-sage, de prévenir les épidémies que l’usage imprudent de l’inoculation pouvait multiplier dans les villes, mit des entraves à la liberté d’inoculer. Mais cet arrêt, en rendant l’inoculation impraticable, excepté aux riches, privait de ses avantages le plus grand nombre des citoyens. La faculté de médecine, et même la faculté de théologie furent consultées. Celle de théologie répondit prudemment, que tout ce qui était salutaire aux hommes était agréable à Dieu, et qu’il n’appartenait qu’aux médecins de juger de l’utilité des remèdes. La faculté de médecine donna deux rapports contraires, et chacun fut signé par un égal nombre de médecins. Lorsque enfin cette querelle eut occupé le public, presque aussi longtemps que si elle eût été frivole, il l’oublia. Les anti-incubateurs cessèrent de crier, ou l’on cessa de les entendre ; et heureusement l’inoculation continua d’être pratiquée. Pendant toute