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ÉLOGE DE M. LA CONDAMINE.


temps dans le reste de l’Europe. Mais il suffit qu’une nouveauté soit utile, pour éprouver de grandes contradictions : elle a pour ennemis tous ceux à qui elle nuit ; et il est difficile de faire le bien du grand nombre des hommes, sans faire le mal de quelques-uns : or, ce petit nombre est plus éclairé, plus uni, plus ardent pour ses intérêts ; et c’est là surtout ce qui rend le bien presque toujours impossible. D’ailleurs, les erreurs et les abus se tiennent par une chaîne d’autant phis forte, qu’elle est souvent imperceptible : ceux qui ont intérêt à perpétuer ces erreurs ou ces abus font cause commune, et forment entre eux une ligue nombreuse et puissante, contre laquelle tous les efforts de la raison n’ont que trop souvent échoué.

L’inoculation ne pouvait donc manquer d’exciter des clameurs ; et il était à craindre qu’elles ne l’empêchassent de s’introduire en France, chez une nation aussi opiniâtre dans ses préjugés, d’inconstante dans ses modes ; où la maxime, qu’il faut faire comme les autres, est celle qu’on répète le plus à la jeunesse, et presque la seule dont elle se souvienne. M. le Régent avait songé à faire essayer l’inoculation sur des criminels et dans les hôpitaux. Il mourut lorsque son courage et ses lumières allaient le rendre utile à son pays. Des médecins éclairés [1] avaient élevé la voix, et on ne les avait pas écoutés. Enfin, un grand poëte, dont nous admirons les talents, et dont la postérité sentira les bienfaits, fit le premier

  1. M. Noguez, dans un ouvrage imprimé en 1725.