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ÉLOGE DE M. DE LA CONDAMINE.


leurs désirs sont en petit nombre : mais leur indolence, que nous appelons stupidité, prouve que leur état ne leur est point insupportable, tandis que cet excès d’activité, dont nous sommes si vains, ne prouve peut-être autre chose que l’excès de nos misères. Les noms qui désignent des idées abstraites leur sont même inconnus : ils n’ont point de termes pour nommer la vertu ; mais ces sauvages, sans morale et même sans religion, se servent, pour la chasse, de flèches empoisonnées, dont la moindre blessure donne une mort sûre et prompte ; et cette arme terrible, jamais ils ne l’ont employée, même contre leurs ennemis.

Parmi ces peuples, il en est un qui a la singulière coutume d’aplatir, entre deux ais, la tête des enfants nouveau-nés ; ce n’est pas qu’en les condamnant par cette opération à une imbécillité incurable, ils aient cru rendre leur bonheur assuré, comme l’ont imaginé quelques philosophes, qui supposent que ce sont la prévoyance et la réflexion qui rendent nos maux si amers : ces peuples ne veulent que procurer à leurs enfants l’avantage de ressembler à la pleine lune.

M. de la Condamine arriva enfin à Cayenne ; il avait levé une carte exacte du cours de la rivière des Amazones ; il avait recueilli des observations sur tous les objets qui peuvent intéresser un philosophe : mais il y avait en vain cherché ce peuple de femmes armées, qu’une tradition ancienne plaçait sur les bords du Maragnon. On y avait vu, disait-on, des troupes de femmes guerrières : le reste n’était, se-