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ÉLOGE DE M. LA CONDAMINE.


ses observations, ses calculs, les fruits de neuf années de travaux étaient perdus : il ne songea pas seulement au danger de sa vie. Le lendemain il passa le Pongo, et parcourut cette galerie tortueuse, bordée de rochers qui semblent se réunir à leur sommet, où l’on ne reçoit la lumière que d’en haut, à travers les branches entrelacées des arbres qui pendent sur le torrent, et forment un berceau sur la tête du voyageur étonné. Malgré la rapidité extrême du courant, M. de la Condamine observait la largeur du passage, son étendue, sa direction, la vitesse de l’eau, et la hauteur des rochers contre lesquels le torrent emportait son radeau.

En partant de Borja, il descendit le fleuve dans un espace de quatre ou cinq cents lieues, à travers des forêts impraticables, où l’on a peine à apercevoir la terre, cachée sous un amas immense de plantes et de débris de végétaux qui la couvrent. On ne pourrait trouver une pierre dans tout cet espace. Depuis la formation de ce continent, la nature, abandonnée à elle-même, y a préparé une couche épaisse de terre végétale, trésor qu’elle destine à l’homme, lorsque, bien convaincu, enfin, que l’or de l’Amérique n’a pas rendu l’Europe plus heureuse, il n’ira plus y chercher que le repos, le bonheur, un beau ciel et une terre fertile.

Quelques peuplades sauvages errent sur les bords du fleuve ; mais depuis que les Européens y ont paru, les indigènes se sont enfoncés dans les terres. Ces hommes ont peu d’idées, parce qu’ils ont peu de besoins ; leurs langues sont pauvres ; les objets de