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ÉLOGE DE M. LA CONDAMINE.


d’Espagne ne réformât un jugement si absurde. Pour se mettre à couvert, le gendre de l’alcade imagina de se faire déclarer fou ; et l’alcade, joignant le scandale au crime, osa chercher, dans les ordres sacrés, l’impunité d’un forfait qui devait l’en rendre à jamais indigne : il se fit ordonner prêtre. Ce titre assurait la même impunité au grand vicaire de Cuença, le plus criminel de tous, puisqu’il avait abusé d’une autorité encore plus sacrée. Ainsi la religion, ce frein des crimes secrets, devenait, chez ces malheureux peuples, l’asile des crimes publics ; mais c’était l’ignorance des vrais principes de la religion qui seule y produisait ces scandales, maintenant à peine croyables en Europe ; et si l’on y confondait, avec le respect dû aux ministres de l’Église, l’impunité de ces ministres lorsqu’ils déshonorent leur caractère par des actions criminelles, c’est que les véritables maximes de l’Église y étaient inconnues.

M. de la Condamine se procura une copie légale de cette procédure : elle était nécessaire à l’honneur de la mémoire de Seniergues qu’on avait calomniée ; elle l’était à la justification de tous les astronomes français ou espagnols, qu’on avait voulu envelopper dans les mêmes accusations ; et ces accusations auraient été appuyées en Europe par ces hommes qu’offense le spectacle du génie et de la vertu réunis ; qui voudraient se dispenser du moins de respecter l’homme dans celui dont ils sont forcés d’admirer le talent, et qui cherchent à avilir la personne quand ils ne peuvent détruire les ouvrages. Cette copie enfin pouvait être envoyée au conseil d’Espagne,