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ÉLOGE DE M. DE LA CONDAMINE.


brigands, érigés en magistrats, pillent impunément les habitants et rançonnent les étrangers. Un Grec qui était sur le vaisseau de M. de la Condamine tomba malade, se fit porter à terre, et le chargea de rendre à ses parents cinquante piastres, qui faisaient tout son bien : le cadi voulut s’en emparer, suivant l’usage ; M. de la Condamine les refusa avec fermeté, lui protesta qu’il ne les remettrait qu’aux parents du Grec, et partit pour regagner le vaisseau. Un titafa, espèce d’officier de police, avait déjà l’ordre de l’arrêter ; M. de la Condamine, seul avec un domestique, fait tête, pendant quelque temps, à un détachement nombreux envoyé contre lui : lorsque enfin ils ne peuvent plus résister, ils se jettent tous deux dans une chaloupe, à la faveur de l’obscurité ; mais n’ayant pu regagner leur vaisseau avant le jour, ils essuient le feu du rempart et des vaisseaux turcs : enfin, on les arrête, on les lie malgré leur résistance, on les traîne demi-nus chez l’officier de police, qui redemande les cinquante piastres. M. de la Condamine refuse de les remettre ; se plaint du traitement barbare qu’il a reçu ; invoque les traités faits entre la Porte et la France ; menace de la vengeance du divan : le titafa, étonné de cette fermeté, n’ose pousser plus loin sa vexation ; il ordonne de relâcher M. de la Condamine, qui part en lui donnant sa parole qu’il va demander justice à Constantinople. Il )a demande, en effet, et l’obtient. En lisant ce trait de l’histoire de M. de la Condamine, on se rappelle involontairement César chez les pirates, Charles XII à Bender, et Pélopidas chez le tyran de Phères.