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ÉLOGE DE M. LA CONDAMINE.

Il allait voir des pays où les productions de la nature et les monuments de l’antiquité sont également inconnus aux peuples qui les habitent. Les restes des antiques habitants de cet empire immense y gémissent sous le joug d’une peuplade scythe, amollie par le plaisir, avilie par l’esclavage, sans avoir presque rien perdu de sa férocité primitive. Là, tandis que le despote fait trembler ses esclaves et tremble devant eux, le peuple, également foulé par le maître et par ses satellites, exposé à toutes les violences des particuliers, à toutes les injustices du gouvernement, sans arts, sans agriculture, sans lumières, sans courage, sans activité, sans vertus et sans mœurs, n’offre aux regards du voyageur indigné qu’une espèce à la fois sauvage et dégénérée. M. de la Condamine détourna les yeux d’un spectacle qui lui aurait fait haïr les hommes ; il ne s’occupa que des monuments anciens et des observations de toute espèce qui pourraient intéresser l’Académie, et dont il rapporta une moisson abondante.

Il voulut voir ces lieux que la naissance du christianisme a rendus célèbres, dont la conquête nous a coûté tant de sang, et que maintenant les Turcs, devenus moins intolérants, et surtout plus avides, laissent paisiblement visiter, contents de soumettre à un léger tribut la piété des voyageurs.

En allant de Jérusalem à Constantinople, M. de la Condamine s’arrêta à Bassa : c’est l’ancienne Paphos, célèbre autrefois par le culte que, dans une contrée délicieuse, un peuple voluptueux rendait à Vénus, et qui n’est plus qu’une triste bourgade, où quelques