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ÉLOGE DE M. DE LA CONDAMINE.

M. de la Condamine raconte que, rencontrant, aux eaux de Plombières, un de ses anciens maîtres, il sentit qu’il ne lui avait point encore pardonné un châtiment injuste qu’il en avait éprouvé cinquante ans auparavant. L’âme des enfants, que la triste habitude de l’oppression n’a point encore flétrie, est profondément blessée de l’injustice : ce n’est qu’à force de leur faire essuyer des caprices, qu’on peut parvenir à étouffer en eux cette sensibilité si naturelle et si vive dans l’homme abandonné à lui-même. Si l’on prodiguait moins aux enfants l’humiliation et les châtiments arbitraires, on ne se plaindrait plus de trouver tant d’hommes dégradés, au point de ne plus sentir de la servitude que les tristes avantages qu’elle procure. Heureusement, il y a des âmes d’une trempe assez forte pour qu’une telle éducation ne puisse les abattre ; et nous verrons que celle de M. de la Condamine était de ce nombre.

En sortant du collège, il suivit en qualité de volontaire, au siège de Roses, le chevalier de Chources, son oncle, capitaine au régiment Dauphin, cavalerie. Pendant le siège, le jeune volontaire eut la curiosité de monter sur une hauteur afin de mieux voir la place ; il l’examinait avec une lunette, et s’amusait à voir mettre le feu à une batterie dont les boulets tombaient autour de lui, lorsqu’il reçut ordre de descendre : on lui apprit qu’un manteau d’écarlate qu’il avait sur son habit, l’avait rendu le but de cette batterie. Il n’avait pas eu besoin de prendre l’esprit militaire pour donner des preuves de son courage : à l’âge de douze ans, il était allé