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ÉLOGE DE M. FONTAlNE.


jalousie sérieuse à leur égard ; mais il avait le courage d’en avouer quelquefois les premiers mouvements : J'ai cru un moment qu’il valait mieux que moi, disait-il un jour d’un jeune géomètre ; j'en étais jaloux, mais il m’a rassuré depuis [1].

Tel était cet homme, aussi original peut-être par son caractère que par son génie, que la société n’avait ni corrompu ni poli ; qui porta tous les goûts de la nature et qui les suivit sans contrainte, et sans jamais connaître les passions violentes, qui ne sont l’ouvrage que de la société. S’il fit peu de bien à ses semblables, du moins ne leur fit-il jamais de mal ; et c’est un éloge que peu d’hommes encore peuvent mériter.

La vente de sa terre d’Anel, l’acquisition d’une autre, sa négligence et son peu de capacité pour les affaires ; enfin, des procès qu’on lui suscita, enlevèrent à la géométrie, et auraient pu tourmenter les dernières années de sa vie ; mais son indifférence était une ressource plus sûre que le courage.

En 1765, il se retira à Cuiseaux, petite ville du comté de Bourgogne, dont il avait acheté la seigneurie. En quittant Paris, il vendit tout ce qu’il avait de livres ; c’est peut-être la première fois qu’on a vu un savant renoncer à ses livres, dans un moment où la solitude devait les lui rendre plus nécessaires. Mais M. Fontaine n’avait jamais eu de goût que pour la géométrie et pour l’étude de l’homme ; il y avait longtemps que sur ces deux objets il ne trou-

  1. Ce jeune homme est l’auteur de cet Éloge.