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LE SEUR.


il ne cherchait qu’un compagnon d’étude, et il trouva un ami.

Si la nature n’avait pas destiné les deux savants français à s’aimer, les circonstances les eussent forcés de s’unir. En général, on fait peu de cas, dans les cloîtres, des sciences naturelles, soit qu’occupes d’intérêts plus importants, les personnes consacrées à la vie religieuse dédaignent ce qui ne procure aux hommes que des avantages temporels ; soit plutôt que toute société donnant la préférence aux talents qui lui sont le plus utiles, les sociétés monastiques doivent préférer l’esprit des affaires, qui sert à augmenter la puissance de l’ordre, au génie des sciences, dont il ne résulte pour l’ordre même qu’un peu de gloire. Ainsi, les deux religieux français, livrés à des études méprisées et même suspectes à la piété peu éclairée de quelques-uns de leurs confrères, étaient regardés au moins comme inutiles dans un pays où l’on n’estime guère que les connaissances qui mènent à la fortune ; ils avaient, au milieu de cette espèce d’abandon et d’oubli, trouvé une société, un juge éclairé, et un appui. Mais leur amitié n’était pas de ces amitiés vulgaires que fait naître la conformité des goûts et des intérêts ; la leur devait son origine à un attrait naturel et irrésistible. Dans ces amitiés profondes et délicieuses, chacun souffre toutes les souffrances de son ami, et sent tous ses plaisirs ; on n’éprouve pas un sentiment, on n’a pas une pensée où son ami ne soit mêlé ; et si on s’aperçoit qu’on n’est pas un avec lui, c’est uniquement par la préférence qu’on lui donne sur