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CHESELDEN.


dans le nombre immense de celles qui nous affligent. Cette opération était connue même du temps d’Hippocrate. Ce grand homme prescrit à ses disciples de ne point s’en charger, et veut qu’ils l’abandonnent à des empiriques, qui craignent moins, a-t-il dit, de compromettre leur gloire ou la vie de leurs malades.

L’opération de la taille était donc déjà vulgaire, et par conséquent déjà ancienne du temps d’Hippocrate. Cependant, puisqu’on ne disséquait pas alors de cadavres humains, comment aurait-on pu connaître, sans ce secours, la nécessité et la possibilité de l’extraction de la pierre ? Ne serait-il pas naturel de penser que peut-être l’opération de la pierre est plus ancienne même que le préjugé qui, chez des peuples encore un peu féroces, ferait regarder la dissection d’un cadavre comme un crime plus odieux que le meurtre ? Les préjugés généraux ne sont pas l’ouvrage de la nature, mais de la société assez perfectionnée pour qu’il y ait déjà des fourbes habiles. Il a fallu plus de temps qu’on ne croit pour établir dans la tête des hommes, les erreurs même qui nous paraissent aujourd’hui les plus naturelles ; et peut-être qu’au point où en est l’espèce humaine, il coûtera à nos neveux moins de travaux et de temps pour la rendre raisonnable, qu’il n’en a coûté pour l’infecter de sottises.

L’opération par laquelle Cheselden rendit la vue à un aveugle-né, est peut-être ce qui l’immortalisera ; elle prouve ce que Locke avait développé avec tant de sagacité, qu’il faut que l’homme apprenne à voir