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sur le jugement de louis xvi.

armée, menaçait à la fois et Paris et les représentants du peuple, peuvent-ils rester les juges du tyran qui a conjuré contre eux ? Ceux d’entre nous qui siégeaient ici le 10 août, qui, si l’armée eût été vaincue, étaient dévoués à la mort, peuvent-ils rester les juges de celui qui les a proscrits ? Louis est accusé d’une connivence coupable avec les ennemis étrangers : et parmi les crimes qui lui sont imputés, on compte cet accord perfide entre les projets des princes émigrés et ceux du château des Tuileries. Or, les hommes qui, d’après ces projets bien connus, étaient marqués pour victimes aux tribunaux du nouveau despotisme, les membres des deux Assemblées pourraient-ils rester les juges de celui qui les avait déjà désignés à ses bourreaux ? On dira que tous les citoyens, tous les amis de la liberté étaient également menacés, et qu’en adoptant ce raisonnement, il serait impossible de trouver des juges. Mais un brigand qui, jetant la terreur dans une contrée, en menace tous les habitants, est sans doute leur ennemi, et tous ont intérêt qu’il ne soit pas impuni. Cependant, on n’admettrait pas, au nombre de ses juges, ceux dont il aurait dévasté les propriétés, ceux qu’il aurait personnellement menacés ; et on ne proposerait pas d’en exclure le reste des citoyens. C’est que l’impartialité exigée des juges est une impartialité personnelle, et l’absence de tout intérêt, de toute passion privée. On ne craint point ces passions généreuses et universelles dont la masse entière d’un peuple peut être agitée, parce que, dans les hommes éclairés et de sang-froid, ces passions