ne peut donc pas dire qu’il soit d’une bonne conversation, au moins en société ; car il y parait presque toujours ou distrait ou profondément occupé. Mais
ce qu’il y a d’extraordinaire, c’est que rien ne lui
échappe ; il a tout vu, tout entendu, et il a le tact le
plus sûr et le plus délié pour saisir les ridicules et
pour démêler toutes les nuances de la vanité ; il a
même une sorte de malignité pour les peindre, qui
contraste d’une manière frappante avec cet air de
bonté qui ne l’abandonne jamais. Il dédommage bien,
dans l’intimité, du silence qu’il garde en société ;
c’est alors que sa conversation a tous les tons. Il a de
la gaieté, de la méchanceté même, mais de celle qui
ne peut nuire, et qui prouve seulement qu’il pense
tout haut avec ses amis, et que rien de ce qui tient
à la connaissance des hommes ne peut échapper à
la justesse de son esprit et à la finesse de son goût.
Je vous ai peint la sensibilité de M. de Condorcet et
les effets de cette sensibilité profonde ; les gens qui ne le connaissent pas intimement doivent le croire insensible et froid. Il n’a peut-être jamais dit à aucun de ses amis, Je vous aime, mais il n’a jamais perdu une
occasion de le leur prouver. Il ne loue jamais ses
amis, et sans cesse il leur prouve qu’il les estime et
qu’il se plaît avec eux ; il ne connaît pas plus les épanchements de la confiance que ceux de la tendresse.
On ne fait point une confidence à M. de Condorcet,
on n’ira point le chercher pour lui dire son secret ;
mais jamais on n’emploie aucune réserve avec
lui ; on ne lui montre pas son âme, mais on la lui
laisse voir. On a avec lui cette sorte d’abandon qu’on
Page:Condorcet - Œuvres, Didot, 1847, volume 1.djvu/833
Cette page n’a pas encore été corrigée
631
DE M. DE CONDORCET.